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L’Espagne ne trouve pas la formule pour résoudre la crise du logement locatif
La situation de la disponibilité des logements à louer en Espagne reste déplorable. Le nombre de logements en location de longue durée continue de diminuer alors que la demande ne cesse d’augmenter. Il nous faut une solution, mais il n’existe pas de « solution miracle ».
Début avril, des centaines de milliers d’Espagnols ont manifesté dans plus de 40 villes pour réclamer de vraies solutions. Tout le monde s’accorde à dire qu’il faut agir, car les loyers augmentent plus rapidement que les revenus ou que le taux d’inflation.
En 2024, les prix de location en Espagne ont augmenté en moyenne de 11,5 %. Cette hausse a été inégale selon les régions, les grandes villes ayant connu des augmentations plus importantes, comme à Barcelone (+13,5 %) et à Madrid (+15,3 %).
Cela s’inscrit dans le contexte d’une nouvelle loi sur le logement en Espagne, qui régule les prix, les contrats de location, les recours juridiques contre les « okupas » (occupations illégales), ainsi que les incitations fiscales pour les propriétaires qui proposent des contrats de location à long terme à des loyers fixés (ou inférieurs) par l’État.
Dans le paysage politique fragmenté de l’Espagne, il n’est pas surprenant que cette loi ait suscité de nombreux débats. Est-ce qu’on jette de l’huile sur le feu ? Est-ce une solution ? Ou ni l’un ni l’autre ?
Pour comprendre ce qui se passe et l’impact probable des réformes actuelles, il faut examiner la situation de plus près.
Il faut commencer par le déséquilibre entre l’offre et la demande. C’est réellement la racine du problème. Ironiquement, il est lui-même causé par des mesures censées résoudre d’autres crises.
Ce n’est un secret pour personne : les Espagnols ne font pas assez d’enfants pour remplacer la population vieillissante. Le taux de remplacement est de 2,1 enfants par femme, mais les femmes nées en Espagne n’ont en moyenne que 1,12 enfant, soit une baisse de 2,6 % par rapport à l’année précédente.
Sans immigration, l’Espagne connaîtrait de nombreux problèmes liés au déclin de la population active, à l’augmentation relative du nombre de retraités percevant des pensions publiques, etc. Cela nuirait aussi à la capacité du pays à faire croître et moderniser son économie.
Selon un rapport de la Banque d’Espagne, le pays aura besoin de 25 millions d’immigrants d’ici 2053 — soit trois fois plus que le taux d’immigration actuel — pour maintenir le système de retraite à flot.
Pour ces raisons, le gouvernement espagnol a résisté à la tendance observée ailleurs en Europe visant à restreindre l’immigration. En 2023, le solde migratoire net de l’Espagne (arrivées d’immigrants) était de 1,32 %, soit 642 000 personnes.
Tout cela est bien beau, mais toutes ces personnes ont besoin de logements de qualité — et l’Espagne n’en construit pas suffisamment. L’année dernière, le nombre de nouveaux foyers a augmenté de 360 000. On s’attend à ce que cela diminue légèrement à 355 349 entre 2025 et 2026, puis à 337 864 entre 2026 et 2027.
Le nombre de nouvelles constructions commence à croître pour la première fois depuis le creux de la crise bancaire de 2014-2015. Selon une étude de Caixa Bank, cette tendance devrait se poursuivre et même s’accélérer.
« …nous avons relevé nos prévisions de permis de construire de 125 000 à 135 000 pour 2025, après une reprise en 2024 (+16,5 % en glissement annuel entre janvier et octobre 2024, atteignant environ 125 000 permis sur les 12 derniers mois). »
C’est une bonne nouvelle, mais cela reste largement insuffisant. Le déficit de l’offre de logements va donc continuer à s’aggraver dans les années à venir. Pourtant, personne ne semble vraiment prêt à s’attaquer sérieusement au problème, car cela aurait un coût politique et économique élevé.
L’extrême droite affirme que l’Espagne doit mettre fin à l’immigration et rapatrier les étrangers arrivés. Mais cela est impossible et entraînerait un effondrement économique et social, qu’il s’agisse des retraites, du système de santé ou de l’économie en général.
Il faut donc affronter la crise du logement de front — mais quelqu’un le fait-il vraiment ?
Nouvelle loi sur le logement
La nouvelle loi sur le logement a été présentée comme une solution à la crise actuelle. Elle donne de nouveaux droits aux locataires, réduit la capacité des propriétaires à augmenter les loyers, et offre des incitations aux propriétaires pour louer à long terme et limiter les hausses de loyers. Elle prévoit aussi une aide directe pour les primo-accédants de moins de 35 ans.
Elle comprend aussi des mesures répressives visant à transformer le marché locatif. Par exemple, elle réforme et décourage les locations touristiques. L’expulsion des « okupas » est désormais plus facile et rapide. Une pression financière sera également exercée sur les grands propriétaires qui laissent des biens vides, via des hausses importantes de la taxe foncière.
Cependant, il semble que personne ne soit satisfait de l’approche actuelle. Les manifestations de début avril ont montré que beaucoup considèrent cette loi comme trop timide. À l’inverse, les milieux d’affaires et les associations de propriétaires estiment qu’elle porte atteinte aux droits des bailleurs et aux mécanismes du marché.
Certains effets immédiats commencent à se faire sentir. D’autres mettront plus de temps à apparaître, comme les conséquences des restrictions sur les locations touristiques ou les subventions à l’achat de logements pour les jeunes.
Dans un contexte où les loyers augmentent à un rythme trois fois supérieur à l’inflation — voire plus —, l’impact semble pousser les propriétaires vers la location de moyenne durée.
Selon une étude du portail immobilier Idealista, le nombre d’annonces de locations de longue durée a baissé de 5 % entre 2023 et 2024. Celles de locations saisonnières ont augmenté de 39 %.
Il n’y a pas de relation directe entre les annonces et le nombre réel de personnes vivant en location longue durée. En partie, cela peut s’expliquer par le fait que les locataires évitent de déménager, car ils s’exposeraient à une forte hausse de loyer.
Cependant, les propriétaires ont clairement intérêt à louer à la saison plutôt qu’à long terme. Ils ne peuvent pas augmenter un loyer longue durée de plus de 3 %. Mais s’ils louent à des étudiants, à la fin de l’année scolaire, ils peuvent réévaluer le loyer d’un appartement de 10 à 15 %.
Ce basculement vers la location saisonnière est-il causé par la loi sur le logement ? En un sens, oui. Mais le problème fondamental reste le même : on ne construit pas assez de logements neufs pour répondre à la demande — que ce soit à l’achat ou à la location. Cela crée des incitations qui déforment le marché immobilier et ne répondent pas aux besoins des Espagnols.
Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’y a rien à faire. Certaines réformes intéressantes visent à stabiliser la relation entre bailleurs et locataires.
En Écosse, par exemple, une loi adoptée en 2016 a instauré ce principe. Elle définit les 18 motifs précis pour lesquels un propriétaire peut mettre fin à un bail. Elle a aussi supprimé les durées fixes de location et instauré un contrat standardisé pour tous les bailleurs et locataires.
De plus, elle a introduit le rôle de garant de loyer. Un propriétaire qui doute de la solvabilité d’un locataire potentiel — un jeune, une famille à faibles revenus — peut exiger un garant de loyer.
Un garant est une personne ou une entreprise qui garantit au propriétaire qu’en cas de défaut de paiement, il recevra tout de même les loyers. Cela incite fortement les propriétaires à « tenter leur chance » avec des locataires vulnérables ou à « risque élevé ».
L’Espagne envisage une version publique de ce système, appelée aval público. Elle sera strictement encadrée et nécessitera l’accord des deux parties. Cela ne résoudra pas les causes structurelles de la hausse des loyers ou du manque de logements.
Mais l’aval público permettrait au moins de lever un des principaux freins des propriétaires à louer à long terme. Et le fait d’en faire un service public, plutôt que privé, le rend plus accessible aux plus vulnérables — ceux qui, justement, ont rarement accès à une personne disposant d’une bonne cote de crédit.
Il est important de voir à la fois les bons et les mauvais côtés de la situation actuelle. Et surtout, de garder à l’esprit le problème fondamental : le manque d’offre. Tant que cela ne sera pas réglé, tout le reste ne fera que retarder l’échéance.
Par Adam Neale | Articles propriétés | 22 mai 2025
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